NOTE D’INTENTION – Démarche artistique et réflexive

Format acoustique : trio et section rythmique

La Draille est un trio vibraphone, contrebasse et batterie, une forme qui se rapproche du classique trio avec piano. Le vibraphone, en ayant la possibilité d’endosser le double rôle mélodie/harmonie, rend les possibilités infinies en termes de configurations.

On peut par exemple choisir de considérer le groupe comme un regroupement de 3 solistes évoluant indépendamment dans l’improvisation. Dans cette configuration, chaque musicien suit son propre chemin en le « superposant » à celui des deux autres. Les interactions qui en résultent peuvent alors être le fruit du hasard, et sont plutôt basées sur des ressentis émotionnels et énergétiques. On crée alors une supraconnexion entre les musiciens, qui dépasse souvent les codes de l’harmonie et du rythme.

On peut également faire évoluer le trio en véritable section rythmique fonctionnant comme une seule et même entité. Cette formule est très intéressante, car en plus de s’appliquer à merveille au trio en lui-même, elle ouvre la porte à de nombreux projets avec des musiciens invités. La Draille forme dans ce cas un substrat constitué de son essence propre, avec laquelle viennent interagir des personnalités différentes. Ces interactions « avec l’extérieur » proposent à chaque fois un nouvel input qui permet au trio de renouveler ses idées.

Répertoire (compositions, standards et improvisation) et trajectoires de développement

L’acte fondateur du projet est une session d’enregistrement en studio. Elle a donné naissance à un album 4 titres sorti en mars 2022 : Le Monde est une Merveille, qui contient une composition originale de chacun des membres, et un blues issu du répertoire des standards du jazz.

Cette session n’ayant pas été répétée en amont, elle représente en quelque sorte une photographie de l’instant zéro du projet, et elle en pose les premières pierres tout en suscitant des milliers d’envies et de trajectoires de développement possibles. Lors des concerts, le groupe raconte d’ailleurs au public, sur le ton de la blague, que cet album est en réalité l’enregistrement de la première répète.

La plus évidente de ces trajectoires de développement est celle du fonctionnement acoustique du trio. Comment jouer ensemble, comprendre les autres et se faire comprendre dans l’improvisation, communiquer sur nos besoins-désirs-attentes, s’accorder sur une direction commune. Plus que musical, ce travail est avant tout un travail sur le facteur humain au sein du groupe.

La Draille se considère comme un filtre, que l’on peut appliquer sur à peu près n’importe quoi, qu’il s’agisse d’une composition originale, d’un standard de jazz, d’un enregistrement sonore, ou d’une idée quelconque. L’image des estomacs utilisée dans le texte de présentation n’est pas là uniquement pour la forme : on cherche réellement à digérer le matériel musical, à nous l’approprier, nous en nourrir pour le faire nôtre et le restituer d’une manière propre à ce trio.

Esthétique et son : une base acoustique augmentée par un dispositif électroacoustique

A ces considérations purement acoustiques vient se greffer l’envie de donner une dimension électroacoustique au projet, en développant un dispositif sonore qui viendrait augmenter la base acoustique du trio. Cette seconde trajectoire de développement est encore à l’état embryonnaire, mais on la trouve toutefois déjà sur le premier album avec l’utilisation de la diffusion d’un échantillon audio qui est le matériel de départ de la composition Le Monde est une Merveille.

Avec la diffusion sonore s’ouvre la porte des questionnements liés à la spatialisation du son en live. Celle-ci peut par exemple venir questionner le rapport spatial public/plateau que l’on trouve habituellement lors d’un concert. Le trio se sert également de cette diffusion comme d’un point de départ pour l’improvisation. En tant que musicien, on peut se laisser surprendre par la survenue d’un son imprévu ou inconnu, et ainsi entrer en interaction avec cette entité qui diffuse le son.

En travaillant sur le contenu des sons diffusés, on augmente le potentiel narratif du projet. Ces sons peuvent être des contenus intelligibles, des textes littéraires, des poèmes, des témoignages et bien d’autres choses. Nous touchons avec cela à la dimension intellectuelle du « contenu » du projet. Par exemple, lors d’une prochaine résidence, le groupe questionnera la possibilité d’enregistrer des personnes localement sur le lieu de chaque concert, qu’il s’agisse du public ou des habitants/acteurs du quartier, pour les utiliser lors de la représentation. La préparation demandera donc d’emprunter des techniques au journalisme, par exemple pour la réalisation d’entretiens qui répondent aux attentes et au cadre que l’on aura alors définis.

Une troisième trajectoire consiste à réfléchir à l’application d’effets audios sur les instruments acoustiques. Il s’agit là du programme d’une seconde future résidence, lors de laquelle il sera mis sur pieds un dispositif avec lequel interagir et littéralement augmenter le champ sonore des trois instruments. L’idée n’est pas de simplement appliquer des effets sur les sons, mais d’aller plus loin en cherchant à obtenir des propositions venant du dispositif. Pour répondre à cette ambition, le groupe fera probablement appel à un 4e membre, musicien et ingénieur du son, qui pourra « jouer des effets sonores sur le groupe », tout en se situant dans la même pâte d’improvisation. Une inspiration forte pour cette direction est le travail de Sam Pluta dans le 5tet de Peter Evans (par exemple audible sur l’album Ghosts du Peter Evans 5tet).